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« Des expositions, des concerts, des livres – et précisément maintenant ! »

Kateryna Rietz-Rakul, directrice du nouvel Institut ukrainien de Berlin, s’exprime sur les échanges culturels en temps de guerre et sur son travail en Allemagne.

Interview: Josefine Janert, 14.06.2023
Kateryna Rietz-Rakul : « Les gens aspirent à la culture. »
Kateryna Rietz-Rakul : « Les gens aspirent à la culture. » © Ukrainian Institute/Lisa Vlasenko

Une Maison pour la culture ukrainienne en Allemagne : l’Institut ukrainien veut promouvoir la culture du pays à l’échelle internationale. En 2017, sur décision du cabinet des ministres ukrainiens, le siège a été ouvert à Kiev – et fin mars 2023, le premier bureau de représentation à l’étranger, à Berlin. Ce dernier est dirigé par Kateryna Rietz-Rakul, gestionnaire culturelle, traductrice et auteure.

Madame Rietz-Rakul, comment vos collègues ukrainiens se portent-ils actuellement, en pleine guerre ?

Des membres de la famille de certains de nos collègues à Kiev sont au front. Il en est ainsi pour beaucoup de personnes dans le milieu des arts et des sciences, et pourtant, les gens continuent. Ils travaillent en ligne, ce qui a déjà bien fonctionné pendant la pandémie. Au début, lors des attaques aériennes, tous les gens se précipitaient à la cave. Entre-temps, ils ont de l’expérience en la matière. Il existe aussi des applications qui informent sur ce qui se passe en toile de fond : lorsque des missiles arrivent de la mer Caspienne, ils ont besoin d’une heure pour voler jusqu’à Kiev. Les gens savent alors : nous pouvons poursuivre nos activités pendant au moins 40 minutes. Si, d’après l’application, les missiles russes s’abattent à proximité, les gens se rendent directement à la cave. Dans cette situation tendue, les personnes aspirent à la culture, aussi bien les artistes que le public. Elles veulent des expositions, des discussions, des concerts – et précisément maintenant !

Votre représentation à l’étranger est soutenue par l’Institut Goethe et les Open Society Foundations, un réseau créé par George Soros. Actuellement, vous et vos trois collaboratrices occupez des bureaux dans la Maison de la culture ACUD, à Berlin. En quoi consistent vos activités ?

Nous voulons démontrer que l’Ukraine, sa culture et sa langue sont autonomes et ne font pas partie de la Russie, comme la propagande russe tente de le faire croire. En Allemagne, la demande est forte : nous organisons des programmes d’accompagnement pour les expositions de l’Albertinum à Dresde et du musée Ludwig à Cologne. Il y a alors de la musique, des films, de l’art vidéo, des entretiens avec des artistes, des tables rondes. Tout cela est très bien documenté et apporte au public de nombreux éclaircissements. Par ailleurs, nous avons participé aux rencontres théâtrales de Berlin et cette année, nous participons encore au forum de jazz de Darmstadt, à la foire du livre de Francfort et à de nombreuses autres manifestations.

Engagée dans de nombreux domaines : l’équipe de l’Institut ukrainien de Berlin
Engagée dans de nombreux domaines : l’équipe de l’Institut ukrainien de Berlin © Ukrainian Institute/Lisa Vlasenko

Quels romans d’auteures et auteurs ukrainiens parus en allemand recommanderiez-vous particulièrement au public allemand ?

« Der Papierjunge » (i.e. le garçon de papier) de Sofia Andruchowytsch, dont l’action se déroule en Galicie, en 1900. Citons également « Blauwal der Erinnerung » (i.e. la baleine bleue de la mémoire) de Tania Maljartschuk, qui se consacre au héros populaire ukrainien Viacheslav Lipinsky, ainsi qu’« Internat » (titre français : « L’internat ») de Serhij Jadan, qui évoque également la guerre dans les régions de Donetsk et de Louhansk. L’art reflète notre passé, notre présent, notre avenir – un véritable élixir de vie.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Wehrmacht allemande a assassiné d’innombrables personnes en Ukraine. Que pensent vos compatriotes du fait que vous établissiez votre première représentation à l’étranger précisément à Berlin ?

L’Allemagne revisite son passé – contrairement à la Russie, où pratiquement rien ne commémore les victimes du stalinisme. Aujourd’hui, l’Allemagne n’est pas un ennemi, mais un partenaire clé. Cela concerne notre aspiration à l’intégration dans l’Union européenne, mais aussi le soutien militaire et la reconstruction future. Rien ne se passe dans l’UE sans l’Allemagne. Cela dit, contrairement à la Pologne et aux pays baltes, il convient, ici, d’expliquer aux gens ce qu’est l’Ukraine : l’Ukraine est perçue par de nombreux Allemands comme faisant partie de la Russie. Il faut de même leur réexpliquer ce qu’est la Russie pour qu’ils voient ce qu’elle est : un État impérial qui mène de nombreuses guerres, et pas seulement contre l’Ukraine. À propos, l’Institut ukrainien a un jour publié une étude sur l’histoire ukrainienne du 20e siècle dans les manuels d’histoire allemands. Conclusion : elle ne figure quasiment nulle part.

En Allemagne, en revanche, nombreux sont les monuments qui commémorent la victoire de l’Union soviétique sur l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Comment percevez-vous cela ?

Beaucoup de choses dans le cadre de ces monuments me semblent simplistes, voire historiquement fausses. On y parle du début de la guerre, le 22 juin 1941, lorsque Hitler avait envahi l’Union soviétique. Or, la Seconde Guerre mondiale avait déjà commencé en 1939 avec l’invasion allemande de la Pologne, qui a été occupée peu après par l’Union soviétique à l’est. Jusqu’en 1941, Staline était un allié d’Hitler. Je suis consciente du fait que l’Allemagne est soumise à des traités qui l’obligent à préserver ces monuments. Mais aujourd’hui, la pédagogie des musées dispose de moyens permettant de commenter de telles données et de clarifier également le rôle des Ukrainiens et d’autres peuples d’Europe de l’Est qui ont souffert du régime stalinien.

Y a-t-il déjà des projets pour une prochaine représentation de l’Institut ukrainien à l’étranger ?

Oui. Cette année encore, une antenne devrait être établie à Paris. Mais c’est un grand défi. L’Institut ukrainien de Kiev est cofinancé par notre ministère des Affaires étrangères. Mais à l’heure où l’argent ukrainien est avant tout consacré à la survie et à la protection des biens culturels dans le pays, il nous faut trouver des alliés et des soutiens pour nos projets à l’étranger.