« Réunir nos atouts »
Le chimiste Matthias Bauer explique comment des chercheurs allemands et français veulent améliorer la fabrication d’hydrogène vert.
L’hydrogène vert joue un rôle clé dans la transition énergétique. Des chercheuses et chercheurs allemands et français travaillent de concert pour améliorer le bilan écologique de la production d’hydrogène. La Communauté allemande de la recherche (DFG) et l’organisation partenaire française, l‘Agence nationale de la recherche, soutiennent avec près d’un million d’euros le travail de chercheurs à Strasbourg, Metz et Nancy en France ainsi qu’à Berlin et Paderborn en Allemagne. Le projet est placé sous la direction de Matthias Bauer, professeur de chimie à Paderborn, qui consacre depuis des années ses recherches à ce thème.
M. le professeur Bauer, en qui consiste votre nouvelle approche pour la fabrication d’hydrogène vert ?
Actuellement, l’hydrogène vert est produit indirectement avec de l’électricité, typiquement par l’électrolyse de l’eau. On utilise pour cela de l’énergie solaire ou éolienne pour activer les électrolyseurs. Même si cette technologie est connue depuis longtemps et est très efficace, je considère que ce processus est un détour. On pourrait utiliser l’énergie primaire du soleil en transformant directement la lumière solaire en énergie chimique. La nature nous le montre bien avec chaque feuille. On appelle ce processus artificiel décomposition photo-catalytique (ou générée par la lumière). On a pour cela besoin d’une molécule qui puisse récolter la lumière solaire. Actuellement, on utilise des métaux nobles pour ce type de réactions. Cela fonctionne très bien mais c’est problématique. Notre idée consiste à transposer des processus fonctionnant bien avec des métaux nobles à des composés ne contenant pas de métaux nobles.
Pourquoi les métaux nobles sont-ils problématiques ?
Obtenir des métaux nobles est cher et produit des tonnes d’émissions de CO2 alors que seuls deux kilos de CO2 sont produits pour obtenir un kilo de fer. C’est pourquoi nous utilisons du fer et du cobalt dans notre initiative, deux métaux faciles à obtenir. Notre objectif est de comprendre comment les composés ferreux fonctionnent afin de les rendre compétitifs par rapport aux métaux nobles. Nous pourrions améliorer ainsi la durabilité des processus et l’hydrogène pourrait être fabriqué de manière plus verte.
Comment est née votre initiative et quelle est l’importance pour la science de coopérations internationales comme celle-ci ?
Notre initiative répond à un appel de la Communauté allemande de la recherche (DFG) et de l’organisation partenaire française, l’Agence nationale de la recherche. Nous avons réuni nos atouts pour être plus performants. Mon collègue à Strasbourg a alors fait appel à des chercheuses et des chercheurs à Metz et à Nancy. Et il y a aussi un collègue à Berlin du côté allemand. En raison de la pandémie, nous ne nous sommes pas encore rencontrés personnellement mais c’est une coopération très efficace, empreinte de respect. Je considère comme immensément important de mettre la science en lumière à l’international et de réunir nos compétences par-delà les frontières pour progresser plus rapidement. On peut éventuellement trouver aussi des utilisations pour demain. Et plus il y a de partenaires, plus il y a de possibilités de financement. Mais ce n’est pas le plus important. L’important, c’est de maîtriser le défi scientifique premier. Le projet, c’est vraiment de la recherche fondamentale pure. Il s’agit de découvrir des potentiels pour demain au-delà des processus connus.
Comment l’hydrogène peut-il contribuer à la transition énergétique ?
L’hydrogène peut être tant une source d’énergie qu’un accumulateur d’énergie. En tant que source d’énergie, on peut l’utiliser directement, par exemple pour le chauffage, la mobilité ou dans l’industrie. Notre société se base pour ainsi dire sur des processus de combustion mais l’électricité sera la source d’énergie de demain. La production d’électricité verte est néanmoins capricieuse, les éoliennes ne tournent pas continuellement, le soleil ne brille pas toujours. Cela signifie que nous aurions un approvisionnement en énergie discontinu, ce qui n’est pas le cas actuellement. Il faut donc stocker les pointes de production d’électricité. On pourrait prendre des batteries mais elles sont difficiles à transporter. C’est là qu’intervient l’hydrogène. C’est l’accumulateur d’énergie le plus simple à imaginer et il pourrait être aisément transporté des éoliennes offshores et des parcs solaires. L’hydrogène contribuerait à la transition énergétique comme accumulateur intermédiaire de l’énergie verte excédentaire.
Pourquoi consacrez-vous autant vos recherches à la durabilité ?
Je pense que la science devrait se consacrer au sens large aux questions pressantes de la société – pas exclusivement, naturellement, et sans renoncer à sa mission première. En tant que chercheur, on devrait réfléchir à la façon d’aborder les problèmes du monde et de l’humanité. Les questions les plus pressantes relèvent des sciences de la nature. Naturellement, je pense aussi à l’avenir de mes enfants. Nous nous trouvons à un moment critique sur la Terre. C’est pourquoi je m’énerve quand on argumente de manière politique ou idéologique sur ces questions.