Dictature et démocratie à l’Âge des extrêmes
Eclairages sur l’histoire de l’Europe au XXe siècle

Le résumé d’un siècle d’histoire : l’exposition « Diktatur und Demokratie im Zeitalter der Extreme » (Dictature et démocratie à l’Âge des extrêmes) est éditée conjointement par l’Institut d’histoire contemporaine de Munich, la radio Deutschlandradio Kultur et la Fondation pour la recherche sur la dictature du SED à l’occasion de cette année anniversaire qu’est 2014. L’exposition « Dictature et démocratie à l’Âge des extrê-mes » décrit le XXe siècle européen comme une époque dramatique oscillant entre la liberté et la tyrannie, la démocratie et la dictature. Elle invite ainsi à en faire l’évaluation historique qu’exige l’année 2014. L’exposition présente nombre de photos tirées d’archives européennes. Les auteurs de l’exposition sont le Prof. Andreas Wirsching, le directeur de l’Institut d’histoire contemporaine de Munich, et sa consœur Mme Petra Weber. Le commissaire en est M. Ulrich Mählert de la Fondation pour la recherche sur la dictature du SED. La chaîne Deutschlandradio Kultur a fourni 25 documents audio portant sur l’histoire contemporaine que l’on peut consulter et écouter avec les codes QR. Cette année, l’exposition sera montrée en 3000 lieux différents en Allemagne et à l’étranger. Elle a été inaugurée en février dans le patio du ministère fédéral des Affaires étrangères à Berlin. Nous reproduisons dans les pages suivantes les textes les plus importants de l’exposition avec l’aimable autorisation de ses éditeurs. Ces textes résument l’histoire de ces cent dernières années, mettant l’accent sur l’Allemagne et l’Europe. (Les affiches en allemand de l’exposition peuvent être commandées auprès de la Fondation pour la recherche sur la dictature du SED pour une participation de 50 €. Des données permettant l’impression en dix langues étrangères sont mises gratuitement à la disposition des organismes culturels étrangers.
www.bundesstiftung-aufarbeitung.de/ausstellung2014
La « catastrophe originelle » du XXe siècle
1914
Le 28 juin 1914, le prince héritier de l’empire austro-hongrois était assassiné à Sarajevo. L’attentat déchaîna une escalade diplomatique et un élan militaire. L’Allemagne, qui souhaitait se hisser au rang de puissance mondiale, eut dans cette affaire une responsabilité importante et déterminante. Ce fut le début de la Première Guerre mondiale qui opposa l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Bulgarie ainsi que l’Empire ottoman à presque tous les États d’Europe, et plus tard, même aux États-Unis. Le mouvement ouvrier européen, qui avait déjà mis en garde contre la menace de guerre, n’eut pas une influence décisive sur les événements. L’Allemagne aspirait à la suprématie en Europe continentale et planifia, notamment à l’Est, de nombreuses annexions. Mais les autres grandes puissances européennes se servirent elles aussi de cette guerre pour défendre leurs intérêts en matière de pouvoir impérial. Lorsque le front occidental se figea dans une guerre de tranchées dès 1914, laquelle se transforma en bataille de matériel tueuse d’hommes, l’enthousiasme guerrier initial fit place à une désillusion dans tous les camps. En 1916, plus d’un million et demi de personnes trouvèrent la mort dans les seules batailles de Verdun et de la Somme. La Première Guerre mondiale fut la première guerre industrielle en Europe au cours de laquelle des hommes furent exterminés en masse à l’aide de mitrailleuses, de chars, d’avions et de sous-marins, de lance-flammes et de gaz toxiques. Près de neuf millions de soldats perdirent la vie. Aucune guerre précédente n’avait jamais fait autant de victimes civiles en Europe : le nombre de ces dernières est estimé à six millions. La violence de cette guerre marqua durablement les peuples et se révéla être un lourd fardeau pour l’Europe d’après-guerre.
Début d’une ère nouvelle
1917
Les États-Unis entrèrent en guerre en avril 1917, après que l’Allemagne eut repris la guerre sous-marine sans restriction dans l’Atlantique. Celle-ci avait coûté la vie de citoyens américains dès 1915. Les ressources presque inépuisables des États-Unis devaient se révéler déterminantes pour les puissances occidentales au cours de la guerre. Le président des États-Unis Woodrow Wilson justifia la guerre en la qualifiant de bataille idéologique décisive pour la démocratie et la liberté. À la suite du renversement du tsar, la Russie sembla également rejoindre ce combat pour la liberté à partir de mars 1917. Dès novembre cependant, le gouvernement provisoire libéral fut déchu par les bolcheviks lors d’un coup d’État. Malgré la mise en oeuvre immédiate de vastes réformes sociales et la promesse de la signature rapide d’un accord de paix, seul un quart des électeurs se prononça en faveur des bolcheviks lors des élections à l’Assemblée nationale constituante de novembre 1917. Ceux-ci dissolurent alors cette assemblée et mirent en place, sous la direction de Lénine, une dictature communiste. Une guerre civile sanglante éclata alors, que les bolcheviks réussirent à remporter au bout de quatre ans en dépit de l’intervention des puissances occidentales. Malgré des signes annonciateurs, leur espoir que l’étincelle révolutionnaire gagnerait l’Ouest ne devait pas se réaliser. L’apparition des États-Unis sur la scène politique européenne ainsi que la prise de pouvoir en Russie par les communistes, que ces derniers tentèrent d’idéaliser en la baptisant « révolution d’Octobre », constituèrent une fracture historique qui portait déjà en son essence l’opposition de systèmes qui caractérisera ultérieurement la guerre froide.
Bouleversement révolutionnaire en Allemagne
1918
À l’été 1918, la défaite de l’Allemagne était devenue inévitable. Même le traité de paix signé avec la Russie au mois de mars n’y avait rien changé. Afin d’améliorer les conditions de la paix, le commandement militaire opéra une transition vers la monarchie parlementaire. Alors qu’en octobre, la marine de guerre était sur le point d’appareiller une fois de plus, les marins se mutinèrent. Cela donna le signal de la révolution, laquelle atteignit Berlin le 9 novembre. Dès le jour même, la République était proclamée et Guillaume II dut abdiquer.
Le chef du Parti social-démocrate d’Allemagne (SPD), Friedrich Ebert, fut nommé chancelier du Reich. Ainsi, les signataires allemands de l’armistice du 11 novembre ne furent pas ceux qui avaient déclenché et mené la guerre, mais les démocrates. La querelle au sujet de la guerre avait divisé la social-démocratie. En 1918, le SPD fit campagne pour la démocratie parlementaire et refusa la mise en place de la République des conseils de Bavière dont le Parti communiste allemand (KPD), créé le 1er janvier 1919, avait réclamé la création. En février se réunit l’Assemblée nationale constituante à Weimar. Le lieu de la réunion donna son nom à la première démocratie allemande. Cette dernière fut violemment attaquée dès le départ : le gouvernement dirigé par les sociaux-démocrates recourut à l’armée contre les tentatives de coup d’État d’extrémistes de gauche et les grèves massives. Dans ce sillage, les unités de combat d’extrême droite s’essayèrent à la contre-révolution. Elles faisaient l’objet de la sympathie non dissimulée des nationalistes et des conservateurs qui avaient refusé leur voix à la Constitution. Lorsque le putsch réactionnaire de Kapp et Lüttwitz eut lieu en mars 1920, les démocrates ne purent y faire face qu’avec difficulté.
Un ordre de paix fragile
1920
En Europe, l’armistice avait été signé en novembre 1918. Mais l’élaboration des traités de paix devait durer jusqu’en août 1920. Ces traités signés dans des communes des environs de Paris modifièrent la carte de l’Europe. Après 123 ans, la Pologne retrouva son indépendance nationale tant souhaitée ; les Républiques baltes, la Tchécoslovaquie et la Yougoslavie furent reconnues comme de nouveaux États. En revanche, la monarchie des Habsbourg fut dissoute, et la Hongrie perdit un tiers de son territoire. L’Empire ottoman fut démantelé. Suite au traité de Versailles signé le 28 juin 1919, l’Allemagne dut céder ses colonies et près d’un cinquième de son territoire national. Son armée de terre fut limitée à 100 000 soldats de carrière. En outre, des réparations d’un montant élevé furent imposées au Reich, car toute la responsabilité de la guerre avait été attribuée aux seuls Allemands et à leurs alliés. Ce sévère accord de paix déclencha un sentiment d’indignation dans les pays vaincus, et principalement en Allemagne. Les partis de la démocratie de Weimar, qui avaient dû signer le traité en tant qu’administrateurs de la faillite de l’empire, furent traités de « criminels de novembre » et de « traîtres de la patrie ». La signature du traité de Versailles s’accompagna de la reconnaissance de la charte de la Société des Nations. Mais l’organisation fondée en 1920, que l’Allemagne rejoignit en 1926, ne remplit pas son rôle de pacificateur. En effet, ni la politique des grandes puissances européennes ne put être empêchée, ni les conflits ethniques ne purent être résolus dans les États nationaux nouvellement créés.
L’Union soviétique stalinienne
1921
Après leur victoire lors de la guerre civile russe, les bolcheviks tentèrent de relancer l’économie nationale détruite. En 1921–22, une famine coûta la vie à près de cinq millions de personnes. Pour assurer le pouvoir du parti, Lénine autorisa un temps des incitations économiques du secteur privé. Staline, qui imposa peu à peu son pouvoir absolu après la mort de Lénine en 1924, annonça la création du « socialisme dans un seul pays ». Parallèlement, il dirigeait les partis communistes du monde entier par l’intermédiaire de l’Internationale communiste.
La politique des partis communistes était subordonnée à Moscou depuis le milieu des années 1920. En mettant en place des pouvoirs dictatoriaux et une armée de travailleurs forcés, Staline opéra l’industrialisation des terres agricoles en retard. Dans le cadre de la collectivisation forcée, des koulaks (paysans) furent notamment enlevés à partir de 1929 et déportés dans le système de camps – appelé plus tard l’archipel du Goulag – qui ne cessait de croître. Staline se moquait des conséquences de ses actes : près de six millions de personnes trouvèrent la mort au cours de la famine de 1932–33. Dès l’automne 1936, Staline déclencha la « Grande Terreur ». Celle-ci comprenait des « épurations ethniques » et était tout particulièrement dirigée contre son propre parti et les élites soviétiques, qui furent persécutées de manière aussi arbitraire qu’impitoyable. L’idéologie et la terreur devaient permettre de créer un « homme nouveau » et d’imposer la transition au socialisme, puis au communisme. L’organisation russe de défense des droits de l’homme MEMORIAL estime que, jusqu’à la mort de Staline en 1953, au moins cinq millions de personnes auraient été arrêtées pour des raisons politiques et que plus de six millions auraient été déportées.
Recul de la démocratie
1926
Suite à la Première Guerre mondiale, le nombre des États d’Europe augmenta. La guerre sembla également avoir aidé la démocratie à faire une percée, dans la mesure où la plupart de ces nouveaux États furent dans un premier temps dotés de structures démocratiques. Toutefois, les jeunes démocraties souffrirent non seulement de la misère d’après-guerre, mais aussi d’un manque d’expérience et de la faiblesse de leurs institutions démocratiques. Cela favorisa les conflits de minorités, notamment en Europe centrale et orientale ainsi que dans le sud-est du continent. La discrimination était monnaie courante. En Tchécoslovaquie, plus d’un cinquième des habitants étaient allemands. En Pologne, les Ukrainiens, les Allemands et les Juifs polonais représentaient d’importantes proportions de la population. En raison de l’instabilité politique, le maréchal Józef Piłsudski parvint au pouvoir en 1926 grâce à un putsch militaire. En Yougoslavie, les conflits entre Serbes orthodoxes et Croates catholiques étaient tellement explosifs que le roi Alexandre Ier établit une dictature soutenue par les militaires après qu’un député serbe eut abattu trois élus croates. À la suite de la répression sanglante de la République des conseils de Hongrie dirigée par Béla Kun, Miklós Horthy mit en place dans son pays un régime autoritaire qui défendait les privilèges de la noblesse et des gros propriétaires terriens et restreignait fortement le droit de vote. L’antisémitisme s’y développa à la même époque. Les pertes de territoires infligées à la Hongrie par le traité de Trianon furent ressenties comme un traumatisme national. Dans les États baltes qui venaient d’être reformés, la démocratie ne fut pas de longue durée non plus. En effet, la Lituanie cessa d’être démocratique dès 1926, tandis que l’Estonie et la Lettonie furent dirigées par un régime autoritaire à partir de 1934.
© „Diktatur und Demokratie im Zeitalter der Extreme“, Bundesstiftung zur Aufarbeitung der SED-Diktatur www.bundesstiftung-aufarbeitung.de/ausstellung2014