« La solidarité ne nous est pas donnée »
Linn Selle est une Européenne convaincue Présidente du Mouvement européen Allemagne (EBD), elle demande plus d’action politique en faveur d’une Europe unie.
C’est une lobbyiste au meilleur sens du terme : Linn Selle défend la cause de l’Europe. Âgée de 33 ans, elle préside depuis 2018 le Mouvement européen Allemagne (EBD), le plus important réseau allemand de politique européenne.
Mme Selle, l’EBD a eu 70 ans l’année dernière. Son principal objectif était de promouvoir l’idée d’une Europe unie quand il a été fondé en 1949. Quelle est sa mission aujourd’hui ?
L’EBD est soutenu par quelque 250 organisations, dont des syndicats et des associations – un large échantillon de la société pro-européenne. Nous sommes les intermédiaires entre ce segment organisé de la société et le système politique. En outre, nous rapprochons la politique européenne de Berlin – en organisant par exemple des événements pour informer nos membres avec les correspondants auprès du Parlement européen car toutes les organisations n’ont pas un bureau à Bruxelles. Un troisième axe de notre travail est le lobbying en faveur d’une Europe démocratique, pluraliste et unie ainsi que d’une Allemagne européenne.
Vous dites que l’EBD reflète le « consensus général pro-européen » en Allemagne. Sur quoi se base l’existence du consensus général – et craignez-vous qu’il ne se perpétue pas ?
Dans l’étude du Baromètre européen, environ 80 % des Allemands jugent que l’Europe est une bonne chose. Plus encore, la participation aux élections européennes a augmenté. Contrairement aux prédictions funestes, les partis eurosceptiques n’ont pas particulièrement profité de cette tendance. En Allemagne, la majorité silencieuse est pro-européenne. La minorité sceptique, par contre, est très bruyante et bien organisée.
En la personne d’Ursula von der Leyen, la personne devenue présidente de la Commission européenne n’était pas la candidate d’un parti. Quelles en sont les conséquences quand il y va de l’acceptation des processus démocratiques dans l’UE ?
Un journaliste à Bruxelles a écrit avec justesse que Ursula von der Leyen n’est pas un mauvais choix mais que la façon dont elle a été élue est hautement regrettable. Cela a laissé un goût amer chez tous ceux qui se consacrent à la cause européenne. L’Europe avait l’opportunité de montrer que, en votant pour un parti, les électeurs choisissaient un candidat spécifique. Le fait que les choses se soient déroulées différemment est vraiment dommage.
L’Allemagne assumera la présidence du Conseil européen à la mi-2020. Quelles opportunités cela offre-t-il ?
L’opportunité de déterminer une fois encore l’agenda européen et d’attirer l’attention de la population générale sur des sujets importants, au-delà même de 2020. Cela siérait bien à l’Allemagne de jouer une fois encore le rôle « d’instigateur » qu’elle a quelque peu négligé ces derniers temps. En particulier dans le contexte d’un nouveau départ pour l’Europe, qui fait même partie du titre d’accord de coalition entre les deux partis au gouvernement en Allemagne. Nous attendons toujours ce nouveau départ.
Que devrait faire la présidence allemande du Conseil européen pour parvenir à ce « nouveau départ ». Quels sont les principaux sujets auxquels elle devrait s’attacher ?
De notre point de vue, il y a avant tout deux thèmes importants. Tout d’abord, les négociations sur le cadre financier pluriannuel qui doit être convenu sous la présidence allemande du Conseil européen. Et puis la conférence sur l’Europe de demain, annoncée fin 2019. Le Traité de Lisbonne a maintenant dix ans et le monde a changé depuis qu’il est entré en vigueur.
L’EBD insiste aussi pour que l’Allemagne s’engage en faveur d’un plus grand respect des valeurs et des droits fondamentaux.
Nous entendons bien trop souvent que les valeurs sont une bonne chose mais que, finalement, c’est l’économie qui importe. Mais c’est loin d’être suffisant. Sans l’Etat de droit européen, l’économie libérale ne fonctionne pas non plus. C’est pourquoi les institutions européennes doivent appliquer systématiquement le mécanisme du droit et la proposition d’une surveillance doit être facilitée.
Une question personnelle pour finir. On parle beaucoup aujourd’hui de la manière dont on peut booster l’intérêt des gens pour le projet européen. Comment êtes-vous devenue une fan de l’Europe ?
J’ai grandi à la frontière germano-néerlandaise et, enfants, nous avons passé beaucoup de temps des deux côtés, si bien que cela me semblait normal. Plus tard, j’ai réalisé que la solidarité européenne ne nous est donnée. Nombre de gens travaillent dur chaque jour pour que l’Allemagne reste pro-européenne et que l’Europe reste démocratique. Si nous ne faisons pas ce travail, les choses peuvent changer et ce n’est pas une option.
Linn Selle a un doctorat en sciences politiques, obtenu après des études à l’Université européenne Viadrina, entre autres. Elle travaille à la Fédération allemande des organismes de protection des consommateurs (Verbraucherzentrale Bundesverband).