« Soif d’apprendre non étanchée »
L’expert éducatif Udo Steffens explique comment une bonne formation peut faire avancer les choses au Congo
M. le Professeur Steffens, la République démocratique du Congo (RDC) est en pleine mutation. Vu cette situation, pourquoi le pays a-t-il besoin d’une école de gestion ?
C’est clair : il ne faut pas minimiser les conflits sanglants. Mais on ne rend pas justice au pays en le réduisant à ces conflits. Les affrontements ont considérablement appauvri la RDC. Or, le pays est très riche ! Il a beaucoup d’eau, de grandes forêts tropicales et des ressources minières telles le cuivre, le diamant, le cobalt et le zinc. Comptant 70 millions d’habitants, la RDC est l’un des pays les plus peuplés de la zone subsaharienne. De plus, l’économie congolaise a est en pleine croissance. Néanmoins 70% des jeunes sont au chômage et les entreprises enregistrent des difficultés de recrutement car la main-d’œuvre qualifiée fait défaut. C’est à cela que nous nous attelons.
Quels sont, d’après vous, les points faibles du système éducatif ?
Au Congo, la plupart des cursus universitaires n’enseignent que la théorie. Avant l’initiative de la Frankfurt School, il n’y avait aucun cursus d’études de micro-financement ni de gestion répondant aux normes internationales.
Dès 2009, la RDC a instauré le master en micro-financement ; en fait, il s’agit d’un centre spécialisé de l’Office allemand d’échanges universitaires (DAAD). Pour quelle raison avez-vous fondé, en plus, la « Central Africa Europe Business School » ?
Le cursus de master en micro-financement, que nous proposons conjointement avec l’Université Protestante au Congo (UPC), a jeté les bases de notre partenariat. Maintenant, nous élargissons ces dernières. Nous avons constaté que le Congo a un besoin considérable de formation générale en gestion, tout particulièrement pour les salariés travaillant au sein de sociétés internationales telles que les groupes de téléphonie, les compagnies aériennes, les brasseries ou les chaînes hôtelières. C’est ainsi que nous avons, conjointement avec l’UPC, créé une école de gestion comme joint-venture. On peut y faire des études d’un an sanctionnées par un « executive MBA » (EMBA) qui s’adressent à ce groupe cible. Pour le module qui a lieu à Francfort, le DAAD attribue des bourses de voyage.
La Business School est financée uniquement par des fonds privés. Comment en couvrirez-vous le coût ?
Par le biais des droits d’inscription. La première année, ils correspondaient à 7500 euros, actuellement ils sont de 12 500 euros. Pour les 36 inscrits, on totalise près de 300 000 euros, ce qui est une bonne base. Du reste, le nombre de candidatures pour la première année (actuelle) a dépassé 100.
12 500 euros serait aussi une somme rondelette pour les citoyens allemands. Comment les étudiants congolais financent-ils ces droits ?
C’est très souvent l’employeur qui s’en charge car il s’agit d’un EMBA effectué en alternance. Si un candidat réussit le test d’aptitude haut la main, mais ne peut pas payer les droits d’inscription de l’EMBA, nous lui octroyons un crédit.
Vos professeurs voyagent depuis l’Allemagne. Ne vous faites-vous pas de soucis pour la sécurité de vos collaborateurs ?
À Kinshasa, la capitale située tout à fait à l’ouest, on n’a pas une idée très précise des conflits à l’Est du Congo. Personnellement, je ne considère pas Kinshasa comme une ville spécialement dangereuse. Il va de soi qu’il faut respecter certaines règles et ne pas s’attarder dans des rues désertes à la nuit tombante, mais ceci vaut aussi pour un grand nombre de métropoles de pays industrialisés occidentaux.
Vos méthodes d’enseignement sont également comparables à l’international.
Au Congo, on prend le cours magistral au pied de la lettre : installé à son pupitre, le professeur lit ses notes. Chez nous, cela ne se passe pas comme cela. Nos cours se nourrissent d’études de cas, de discussions et de travaux en groupe, comme c’est monnaie courante dans les écoles de gestion du monde entier. Ce faisant, nous sommes pionniers en RDC et voulons inciter à une réforme universitaire.
À votre vis, quelles sont les perspectives de vos diplômés sur le marché du travail ?
La plupart d’entre eux se voient proposer au moins deux emplois, parfois même de l’étranger. Ils peuvent s’attendre, en outre, à une augmentation de salaire.
Actuellement, la Business School ne propose que l’EMBA. Comptez-vous élargir votre offre ?
Nous y songeons sérieusement. Les programmes compacts de gestion de l’éducation sont d’ores et déjà très bien accueillis ; ils permettent aux cadres et aux experts des banques de développement de développer leurs propres compétences managériales.
Vous avez vous-même donné un cours de stratégie : qu’est-ce qui vous a étonné ?
L’engagement, l’énergie et le dynamisme des étudiants m’ont profondément impressionné. Leur soif de connaissance, jusqu’ici non étanchée, reflète aussi le besoin d’apprendre de la classe moyenne émergeant actuellement au Congo. Découvrir sur le vif cette soif de savoir me remplit personnellement de joie. Elle renforce en moi le désir de poursuivre notre engagement au Congo. ▪
Interview : Clara Görtz