Dégagé à glacial
Le temps fournit d’abondants sujets de conversation. Et donne lieu de se plaindre, jour après jour, même s’il fait beau et qu’il y a du soleil.
Pas si mauvais que cela. Il arrive même qu’il soit magnifique. Le temps en Allemagne. Toujours est-il qu’en 2014, le service météorologique allemand a dénombré en moyenne 1600 heures d’ensoleillement. À Arkona, sur l’île de Rügen, en mer Baltique, on a même mesuré 2030 heures, ce qui permet à ce site de concurrencer largement la douceur ensoleillée du lac de Garde. Puis vint cet été 2015. Le soleil a brillé durant des semaines entières comme si l’on se trouvait au bord de l’Adriatique ou à la plage d’Élafonissi. Un temps qui aurait mérité ses propres autographes si l’on n’était pas en Allemagne. Ici, par principe, nous ne sommes ni comblés ni reconnaissants de toute cette manne de soleil et nous ergotons de toutes nos forces sur tout. « Trop chaud ! », « trop sec ! », sans compter tous les moustiques et les guêpes qui se multiplient tant et plus par cette chaleur. Le temps a eu beau faire tous ses efforts, le résultat a été comme d’habitude : un concours de ronchonnements, à qui mieux mieux. Et si l’on se renseigne à droite et à gauche, l’essentiel manque toujours au temps pour faire notre bonheur. Quoi qu’il fasse. Pour les grillades, il pourrait faire plus chaud ? Pour l’ambiance de Noël, il manque la neige qui devrait être livrée à temps, soit le 24 décembre ? Pour le jardin, il pourrait pleuvoir davantage. Bien sûr, seulement pendant la nuit, quand cela ne dérange personne, et s’il ne pleut que trois fois en six semaines, on parle d’« un été allemand typique ! »
Il semble que, par principe, le climat ne saurait contenter personne. Sauf être le sujet de conversation n° 1. C’est pourquoi nettement plus de 70% de tous nos échanges de banalités tournent autour du temps qu’il ne fait pas et, ce qu’il y a de plus intéressant, c’est le temps qu’il fera demain. Cela étant, les 60 secondes de prévisions météo constituent obligatoirement le taux d’audience le plus élevé de la télévision allemande. Tous les soirs, jusqu’à dix millions de téléspectateurs consultent la carte météo pour alimenter leurs sempiternelles lamentations. On pourrait presque en déduire que nous vivons encore tous dans les arbres et devons absolument savoir, question de survie, si une tempête fera tomber notre branche demain. Au lieu de cela, nous passons la majeure partie de notre temps dans des maisons bien isolées, dans des bureaux climatisés, dans le métro et dans des centres commerciaux. Et ce n’est pas prêt de cesser.
Nous voilà donc arrivés à la seconde raison pour laquelle nous aimons tant dire qu’il fait plus mauvais qu’il ne le fait en réalité : pour s’installer confortablement chez soi, devant la télévision, au lieu d’aller faire du vélo dehors pour perdre des calories. Notons que 37% des Allemands mettent sur le dos du temps le fait de ne pas pouvoir faire du vélo. Bref, nous n’avons tout simplement pas besoin qu’il fasse magnifique et c’est pour cela qu’il ne doit pas faire beau, quoi qu’il en soit, même s’il fait splendide. Malheureusement, à l’étranger, on comprend mal ce pessimisme météorologique allemand que l’on prend pour des prévisions. Résultat : la plupart des gens qui viennent chez nous s’imaginent que l’Allemagne est au cœur d’une zone climatique extrême dans laquelle il vaut toujours mieux s’attendre à tout : à des pluies tropicales diluviennes, tout comme à une canicule désertique. En plein été.
Pour ce qui est des trois autres saisons, on s’attend apparemment à des températures permettant de découper des iglous avec son haleine. En tout cas, j’ai déjà eu la visite de Finlandais (!) qui, à toutes fins utiles, avaient encore en mars (21° !) des sous-vêtements polaires dans leurs bagages. Au bout de quelques jours, les visiteurs se rendent évidemment compte qu’il fait bien trop beau en Allemagne pour pouvoir se plaindre sérieusement. Sur ce, on les prie instamment de garder ces réflexions pour eux. Car il faut absolument que cela reste notre secret. ▪
CONSTANZE KLEIS La journaliste et auteure de best-sellers vit et travaille à Francfort-sur-le-Main.