« Les livres apportent les cultures aux gens »
L’autrice ougandaise Jennifer Nansubuga Makumbi était invitée du programme pour artistes berlinois du DAAD. Elle parle de son séjour à Berlin et de la puissance de la littérature.
L’autrice Jennifer Nansubuga Makumbi est née en 1967 en Ouganda. Il y a plus de 20 ans, elle a déménagée en Grande-Bretagne pour étudier la création littéraire. Son premier roman, « Kintu » est paru en 2014. La maison d’édition Interkontinental a publié son livre « The First Woman » dans une traduction allemande l’an passé. Il y a peu, elle était invitée dans la capitale allemande par le programme pour artistes berlinois de l’Office allemand d’échanger universitaires (DAAD).
Madame Makumbi, vous avez été invitée il y a peu par le programme pour artistes berlinois du DAAD à Berlin. Comment avez-vous vécu ce séjour ?
C’était une bourse incroyable qui m’a offert pendant un an du temps pour me concentrer sur mon travail d’écriture et de faire des recherches. J’ai profité de Berlin, je trouve la ville très accueillante et ouverte.
En janvier 2023, sur invitation du ministère fédéral pour la Coopération économique et le développement, à l’occasion de la nouvelle orientation de la politique africaine du gouvernement fédéral allemande, vous avez tenu un discours. Il y était question des mythes sur l’Afrique.
Pour que l’Allemagne et l’Afrique puisse coopérer sur un pied d’égalité, certaines choses doivent être dites et comprises afin que chacun sache où se situe l’autre. Pour l’Allemagne, il est important de connaître la perspective africaine sur l’histoire de cette relation.
Vos livres sont inspirés des légendes et mythes ougandais. D’où vous vient cet intérêt ?
Enfant, j’ai raconté beaucoup de contes populaires. Mais j’ai aussi transformé des histoires occidentales que j’avais lues, surtout les contes des frères Grimm, pour mon public.
Dans votre roman féministe « The First Woman » il est question des mythes sur les femmes qui sont racontés à leur détriment. Les livres peuvent-ils les contrer ?
Tout le monde vit dans des histoires, tout le monde raconte des histoires. Mais le plus important, c’est que tout le monde crée des mythes. Sur nous-mêmes, sur les nations, sur les races. Souvent, des mythes que nous dénaturent sont créés sur nous. On peut essayer de les démonter, mais si on arrive pas à se débarrasser des mythes, le mieux et de créer son propre mythe sur soi-même. Dans « The First Woman », je voulais montrer comment c’est de vivre dans ce corps féminin qui est appelé femme. Je voulais que le lectorat voit quels mythes se bousculent autour de ce corps et quel est leur rapport avec la réalité.
Comme votre personnage principal Kirabo, vous avez aussi grandi en Ouganda dans les années 1970. De quoi vous souvenez-vous ?
Je me souviens du régime d’Idi Amin, aux pénuries de savon, d’huile alimentaire et d’autres choses relevant de la nécessité quotidienne, causées par l’embargo. Je me souviens que les pères de mes amis disparaissaient et mouraient, qu’ils ne pouvaient pas aller à l’école, car ils ne pouvaient plus se le permettre. Les mères et les tantes disaient aux filles qu’elles ne devaient pas porter de robes courtes. Je me souviens de la guerre.
Vous avez désormais été récompensée par des prix littéraires comme le Jhalak Prize ou le Windham-Campbell Prize. En 2024, vous présiderez le jury du Commonwealth Short Story Prize que vous avez vous-même remporté il y a dix ans.
C’est une reconnaissance. Ainsi, je redonne aussi quelque chose à une distinction qui m’a promue. Mais je fais surtout quelque chose pour un domaine que j’aime, l’écriture et la publication de livres. Il est question de chercher de nouveaux talents et de les faire découvrir au monde.
Malgré votre succès international, vous dites que vous écrivez surtout pour un lectorat en Ouganda. Pourquoi ?
Je considère mes livres comme des dialogues avec les Ougandais et les personnes dans d’autres pays d’Afrique. Pendant que nous parlons entre nous, d’autres personnes de dehors écoutent, obtiennent un aperçu. C’est ainsi que j’ai aussi lu des livres d’Europe et d’Amérique. J’étais toujours une outsider, j’ai adoré ça. Et cela m’a permis d’apprendre. Bien sûr, j’ai conscience que les maisons d’édition seront britanniques ou allemandes. Mais c’est l’effet qu’ont les livres : ils font entrer chez vous des cultures dont vous ignorez parfois tout.
Je souhaite dire la chose suivante aux lectrices et lecteurs en dehors d’Afrique : écoutez-nous, nous sommes comme vous – nous sommes bons, nous sommes mauvais, nous sommes bêtes, nous sommes intelligents, nous sommes incroyables, nous sommet « oh mon dieu». C’est pour cela qu’on ne trouvera dans mes livres pas de personnes bonnes ou mauvaises, juste des personnes. Comme j’ai longtemps enseigné la littérature je sais une chose : un bon livre est comme un miroir. Les Ougandais peuvent regarder dans mes livres et se parler à eux-mêmes. Mais les Européens, les Américains, les Allemands peuvent aussi s’y retrouver. Les personnes sont pareilles partout dans le monde. Seule notre culture nous différencie un peu.
Vous avez vous-même eu des expériences avec différentes cultures. Quand vous avez étudié en Angleterre, vous travailliez par exemple dans un établissement de soin. Cette période a aussi influencé votre œuvre.
Dans mon recueil de nouvelles « Manchester Happened », je voulais montrer aux Ougandais et autres Africains : voici comment vous imaginez l’Europe, mais voici comment je l’ai vue. Je voulais parler de l’essence de l’immigration. Quand on quitte son pays d’origine, on en emporte une partie dans sa tête. Quand on revient, ce pays d’origine a disparu, il a changé. Et les gens là-bas affirment qu’on a aussi changé. Mais je souhaite vieillir en Ouganda. L’Angleterre est super, mais je suis trop africaine pour y rester. En Europe, je ne connais pas de repos, même si j’ai désormais un passeport britannique. J’ai besoin du soleil et de la nourriture de chez moi.