Marx et le pouvoir de l’Internet
Le capitalisme jadis et aujourd’hui : l’auteur culte Dietmar Dath décrit les relations captivantes entre Marx et le présent.
Monsieur Dath, pourquoi, deux cent ans après la naissance de Karl Marx, cela vaut-il la peine de se pencher sur ce penseur ?
Parce que tous les problèmes qu’il a tenté de résoudre et qu’il a été en partie le premier à qualifier sont encore d’actualité. On continue par exemple de constater que les biens qui sont produits, non par quelques unités de production mais en masse, ne profitent qu’à un nombre réduit de personnes. On peut prendre l’exemple d’Internet qui n’a été rendu possible que par l’argent du contribuable, à savoir par la recherche publique, en particulier de l’armée américaine. Les grands groupes d’Internet tels que Amazon, Google et Facebook en retirent aujourd’hui les plus gros avantages. Marx rappelle la grande différence qui demeure entre la valeur d’usage et la valeur d’échange : à quoi sert un produit pour ceux qui l’utilisent ? Et d’autre part : à qui est-ce que cela rapporte de l’argent ?
Dans votre chronique « Que dit Marx ? » dans le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung vous critiquez la « tentative assez légère d’actualisation » de la pensée marxiste. Est-il facile de ne pas comprendre Marx ?
Pour Marx, tout n’est pas tout noir ou tout blanc ; dans le capitalisme, il a aussi cherché des choses qui ont une utilité historique, par exemple l’énorme richesse. Aucun autre système de l’histoire n’a engendré cela. C’est le capitalisme qui a tellement enrichi les hommes qu’il leur a donné la liberté de se demander : comment voulons-nous vivre ? Dans de nombreuses théories gauchistes actuelles, on a l’impression qu’il s’agit de niveler par le bas : nous devenons tous un peu plus pauvres et nous nous entraidons. Pour Marx, il s’agissait toutefois de savoir comment, à partir du progrès atteint, nous pourrions encore progresser. Nous ne devons pas oublier que Marx a formulé ses idées pour une société riche, telle qu’elle existait à son époque en Angleterre et en Allemagne. Cela ne concernait pas la Russie et donc guère la future Union soviétique qui a tenté de mettre ses idées en application.
Marx a formulé ses idées pour une société riche.
Comment Karl Marx peut-il aujourd’hui ouvrir de nouvelles perspectives ?
Marx a pensé et envisagé l’histoire ; comment le monde capitaliste moderne s’est imposé face à la noblesse féodale : dans les villes, une nouvelle richesse a vu le jour pour les citoyens, richesse qu’ils ont pu transformer en pouvoir politique. Nous devons nous demander où sont aujourd’hui les sources de richesse. Où crée-t-on des choses qui facilitent la vie ? Cela nous mène à nouveau, mais pas uniquement, à Internet : comme à l’époque de Marx où on est passé de l’usine à la politique, on pourrait aujourd’hui réfléchir davantage aux possibilités du travail en réseau dans la politique.
Interview: Johannes Göbel
