Quand on soutient les femmes on aide tout le monde
Une carrière allant de « Germany’s Next Topmodel » à celle d'entrepreneuse sociale : avec sa start-up, Sara Nuru aide les femmes en Ethiopie.
Sara Nuru a été la gagnante du concours « Germany’s Next Topmodel » il y a onze ans. Mais, après un voyage en Ethiopie, elle a échangé sa vie glamour des défilés dans le monde entier contre le titre d’entrepreneuse sociale. Avec sa sœur Sali, elle importe aujourd’hui du café équitable en Ethiopie. A l'aide de microcrédits, des femmes éthiopiennes doivent avoir la possibilité de mener une vie autonome et indépendante.
Madame Nuru, qu’est-ce qui vous lie à l’Ethiopie ?
Mes parents sont originaires d’Ethiopie. Malheureusement, dans les années 1980, ils ont dû fuir à cause de la guerre avec l’Erythrée et de la famine. Ma mère est alors arrivée dans un village de Bavière de 200 habitants. Un vieux couple y a mis son auberge à disposition des réfugiés et a soutenu ma mère. Ils lui ont appris à faire du vélo, l'ont aidée dans ses démarches avec l’administration et ont essayé de l'intégrer dans la communauté villageoise. Ma mère n’avait que des vêtements pour elle et les enfants – et les ustensiles pour une cérémonie du café éthiopienne, des grains de café verts, des pots en terre et de petites tasses à café. Elle le préparait devant la maison, sur un feu ouvert. Au début, la petite communauté établie de longue date, était plutôt sceptique à son égard mais l’odeur du café a éveillé sa curiosité. A l'époque, le café a servi à rompre la glace
En 2009, vous avez gagné le concours « Germany’s Next Topmodel » à la télévision : une vie faite de défilés, de flashes et de séances photo. Pourquoi avez-vous renoncé à cette carrière ?
A cette époque, je menais vraiment une vie de fou. Je faisais le tour du monde en jet, avais des vêtements de luxe et dormais dans les meilleurs hôtels. Puis l’ONG « Menschen für Menschen » m’a demandé si je ne voulais pas soutenir son action en Ethiopie. J'ai été intéressée immédiatement mais j’ai voulu voir la situation par moi-même.
Qu’avez-vous découvert lors de ce voyage ?
Soudain, je n'ai pas été seulement confrontée à une pauvreté incroyable mais aussi à mes propres privilèges - parce que je suis née en Allemagne et parce que mes parents ont pu fuir. J’ai eu honte. Quand j’ai repris l’avion et que ma prochaine étape était Manhattan, je ne pouvais plus me débarrasser de ce sentiment, je ne pouvais pas oublier ce que j’avais vu. J’ai compris qu’à l’avenir je voulais faire quelque chose qui donne du sens à ma vie, et de préférence en Ethiopie.
Vous avez cessé d’être mannequin et aujourd’hui, avec votre sœur, vous importez du café d’Ethiopie. Que voulez-vous réaliser avec ce projet ?
A l’époque, j’étais ambassadrice de « Menschen für Menschen » et j’ai compris que le comportement des gens en matière de dons changeait. Cela ne suffit plus de verser des larmes de crocodile comme dans les années 1980. C’est pourquoi nous avons cherché une alternative aux dons classiques et avons eu l’idée d’une entreprise sociale. Nous voulons faire le bien en faisant des affaires.
Est-ce que l'histoire de votre mère est la raison pour laquelle vous avez choisi le café ?
C’était l’une des raisons. L'Ethiopie est le pays d'origine du café et c'est le principal produit d’exportation du pays. Je ne connais aucun autre pays où le café est célébré comme en Ethiopie. La cérémonie du café traditionnelle a une très grande importance, surtout pour les femmes qui le préparent. Pour ma sœur et moi, elle représente aussi beaucoup de choses – le sentiment d'être ensemble et de ralentir. C'est ce que nous voulons communiquer avec la production durable et équitable du café.
Avec votre produit, vous soutenez surtout les femmes, pourquoi ?
Les femmes sont particulièrement impliquées dans la production du café : elles cueillent, lavent épluchent les cerises du caféier. Mais lorsqu'il s'agit de négocier les prix, aucune femme ne participe à la négociation. Les femmes ont aussi les plus bas salaires. Des études montrent que les femmes dans les pays en développement ne dépensent pas leur argent pour elles-mêmes mais pour toute leur famille. Donc, quand on soutient les femmes, on soutient toute la communauté.
Votre chiffre d’affaires vous sert à financer des microcrédits pour des femmes en Ethiopie. Quelle est l’idée derrière ce concept ?
En vendant du café, nous voulions aussi aider des femmes qui n’ont pas accès au marché du café et qui ne travaillent pas pour nous. Nous faisons cela en les aidant à lancer leur propre affaire, avec ce que l’on appelle un microcrédit. Les femmes s’inscrivent et nous leur prêtons entre 100 et 300 euros. Elles peuvent les dépenser comme bon leur semble mais elles doivent rembourser le prêt dans un délai d’un an, avec un certain intérêt. Cela sert à accorder de nouveaux crédits.
Avez-vous l’impression que les crédits relativement modestes ont également un succès à long terme et améliorent la vie des femmes ?
On m'a raconté des histoires très différentes. Cela a permis par exemple à une femme d’acheter un billard car les gens dans sa région sont passionnés de billard. Elle s’est fait payer pour chaque partie et a ouvert une sorte de petit bar. Une autre femme avait travaillé comme exciseuse lorsqu’elle était adolescente et avait été violée par son mari. Avec le crédit, elle a acheté une chèvre, l’a engraissée, revendue avec profit et s’est alors acheté deux chèvres. Aujourd’hui, elle vit séparée de son mari, dans un autre village, travaille pour l’une de nos associations et s’occupe de l’accord de crédits.
Trouvez-vous que les approches de la coopération au développement où les personnes concernées sont très impliquées sont généralement les plus judicieuses ?
Oui, les personnes concernées savent mieux que quiconque ce dont elles ont besoin et quelles affaires marchent le mieux dans chaque région. Notre fonds de crédit s’approvisionne entre-temps presque tout seul, de sorte que le concept fonctionnerait à long terme dans la région même s’il n'y avait plus nuruCoffee. L'objectif devrait toujours être d'aider à se prendre en charge. Nous devons parler avec les populations locales, les écouter – et, surtout, partir un jour ou l’autre.